LES FABULEUSES
UNE SÉRIE SUR LES FEMMES SCIENTIFIQUES
PAR ELISABETH BOUCHAUD
Longtemps, les femmes scientifiques ont été invisibilisées,
même si elles avaient fait des découvertes majeures,
qui ont parfois changé la face du monde.
Privées des récompenses et de la reconnaissance réservées à leurs collègues masculins,
elles ont été oubliées, évacuées de l’histoire des sciences.
Cette série prétend leur rendre justice, en racontant leurs histoires
ÉPISODE 1: EXIL INTÉRIEUR (LISE MEITNER)
Texte Elisabeth Bouchaud
Mise en scène Marie Steen
Avec Elisabeth Bouchaud (Lise Meitner), Benoît Di Marco (Otto Hahn), Imer Kuttlovci (Otto Robert Fisch)
La pièce
Lise Meitner, née à Vienne, dans une famille juive, à la fin du XIXème siècle, travaille avec un chimiste brillant, Otto Hahn, à l’Institut Wilhelm Kaiser de Berlin. En 1918, ils viennent de découvrir un nouvel élément radioactif, le protactinium. La guerre est finie, et un bel avenir semble promis aux deux chercheurs. Mais dès 1933, avec la nomination d’Hitler à la chancellerie, la situation des savants juifs devient épouvantable. Lise se sent cependant protégée par sa nationalité autrichienne, par sa conversion au protestantisme, et par le statut particulier – mixte public et privé – de l’Institut. Elle reste. Quand, en mars 1938, l’Allemagne envahit l’Autriche, sa position devient intenable. Elle doit fuir Berlin, en laissant toute sa vie derrière elle. Sans papiers, puisque le passeport autrichien n’a plus de valeur ! Avec l’aide de deux savants hollandais, elle réussit à s’enfuir, au risque d’être déportée vers un camp de concentration si elle est arrêtée. Elle trouve refuge à Stockholm, un poste précaire où elle n’a ni matériel de laboratoire ni étudiants, et un maigre salaire. Elle et Otto se donnent rendez-vous à Copenhague pour discuter des résultats des expériences mises en œuvre ensemble, à Berlin. Otto lui rend compte d’observations étranges, qu’il ne parvient pas à comprendre. Revenue en Suède, la veille de Noël 1938, Lise fait une longue promenade dans la neige avec son neveu, Otto Robert Frisch. Elle lui raconte les résultats des expériences de Berlin et ils comprennent ce qu’Otto Frisch suggère de baptiser « fission nucléaire ». Hahn et Meitner publient leurs résultats séparément : Hahn irait à l’encontre de sérieux problèmes en publiant avec une juive. C’est à Otto Hahn et à lui seul qu’on décerne le prix Nobel de chimie en 1944.
ÉPISODE 2 : PRIX NO’BELL (JOCELYN BELL)
Texte Elisabeth Bouchaud
Mise en scène Marie Steen
Avec Clémentine Lebocey (Jocelyn Bell), Benoit Di Marco (Anthony Hewish), Roxane Driay (Janet Smith)
La pièce
Jocelyn Bell, née à Belfast, dans une famille de quakers, étudie la physique à Glasgow, puis elle entame une thèse en astrophysique à l’université de Cambridge, sous la direction d’Anthony Hewish. Elle travaille comme une brute, essentiellement parce qu’elle souffre du «syndrome de l’imposteur»: femme, originaire du Nord de l’Irlande, elle ne se sent pas légitime dans l’environnement de la prestigieuse Cambridge. Elle y construit un télescope afin de pouvoir observer des objets célestes très lumineux appelés «quasars», et qui sont en fait des régions très compactes entourant les trous noirs. Mais très rapidement, dès 1967, elle repère un signal qui n’est pas celui auquel elle s’attend. Elle tente de persuader son directeur de thèse de l’intérêt de cette découverte, mais Hewish n’y croit pas pendant longtemps. Quand il est enfin convaincu, il s’attribue cette découverte, fait une conférence, signe un article dans Nature en tant que premier auteur. Les journalistes qui viennent l’interviewer sur la signification de «sa» découverte ne posent à Jocelyn Bell que des questions futiles et absurdes, des «questions de fille». Elle se confie à son amie Janet Smith, qui partage son appartement, et fait, elle des études de théologie. Angoisses professionnelles, découverte de l’amour et questionnement sur Dieu sont les sujets de prédilection des deux jeunes femmes. Quand, en 1974, Anthony Hewish se voit décerner le prix Nobel pour la découverte des pulsars, sans même que le nom de Jocelyn Bell soit évoqué, une grande partie de la communauté scientifique concernée est scandalisée. Mais Jocelyn, déjà grande dame, réagit sans aucune amertume. Depuis, elle a reçu les prix les plus prestigieux pour sa découverte, dont le Breakthrough Prize américain, doté de trois millions de dollars, qu’elle cède intégralement à l’université d’Oxford pour aider les étudiants issus des minorités, dont les femmes !
ÉPISODE 3 : L’AFFAIRE ROSALIND FRANKLIN (ROSALIND FRANKLIN)
Texte Elisabeth Bouchaud
Mise en scène Julie Timmerman
Avec Isis Ravel (Rosalind Franklin), Balthazar Gouzou (Raymond Gosling et James Watson), Matila Malliarakis (Maurice Wilkins), Julien Gallix (Vittorio Luzzatti et Francis Crick)
La pièce
Rosalind Franklin, née à Londres en 1920, est déjà, en 1950, une physico-chimiste mondialement connue, spécialiste des rayons X. Elle travaille à Paris, sur le carbone, dans le laboratoire de Jacques Meiring, depuis février 1947, mais on vient de lui proposer de créer son groupe au King’s College de Londres pour travailler sur la structure de l’ADN. Elle quitte donc la capitale française, où elle a pourtant été très heureuse, et où elle a de nombreux amis, dont le physicien Vittorio Luzzatti.
Londres est une ville encore très marquée par la guerre, et le laboratoire dans lequelle elle arrive est très mal équipé. De plus, les femmes ne sont admises ni à la cantine de l’institut ni dans les pubs, et Rosalind, qui ne peut discuter de science qu’avec son étudiant Raymond Gosling, se sent vite très seule. En effet, son collègue Maurice Wilkins, avec lequel elle aurait pu s’entendre, pensait qu’elle allait être son assistante, et ce malentendu rend toute forme de collaboration entre eux impossible. Wilkins, qui se sert plus ou moins de Gosling qui a travaillé avec lui avant de poursuivre ses travaux de doctorat avec Franklin, se rapproche alors de Francis Crick et James Watson, deux chercheurs du laboratoire Cavendish à Cambridge qui tentent eux aussi de comprendre la structure de l’ADN. Ces derniers, aidés par Wilkins, vont subtiliser un célèbre cliché de rayons X – la « photographie 51 » – obtenu par Franklin et Gosling, puis obtenir de façon illicite un rapport confidentiel déposé par Franklin au Conseil de Financement de la Recherche en Médecine, pour construire leur modèle, qui leur vaudra, ainsi qu’à Wilkins, d’ailleurs, le Prix Nobel de Médecine en 1962.
Rosalind Franklin n’a jamais su qu’on avait volé ses résultats, ou peut-être cela lui était-il égal. En 1953, elle quitte King’s College pour Birkbeck College. Cette grande pionnière se lance alors dans l’étude de la structure des virus. Malheureusement, elle décède en 1958, à l’âge de 38 ans, d’un cancer dû à une surexposition aux rayons X.