De la physique au théâtre (Le Monde)

Par sur le site du MONDE (à lire sur lemonde.fr)

Publié le 28 avril 2019  – Mis à jour le 30 avril 2019 à 11h47

Elisabeth Bouchaud, de la physique au théâtre

Cette spécialiste de la physique des matériaux, également passionnée de littérature, met la science sous les feux de la rampe. Elle a repris plusieurs théâtres.

 

Au Théâtre de la Reine Blanche, niché dans un passage derrière la gare du Nord, à Paris, il y a, comme dans tous les théâtres, un côté cour et un côté jardin. On y trouve aussi un côté grenier. C’est là-haut, sous les toits, dans le bureau de la maîtresse des lieux, que beaucoup se joue. Yeux de braise, chevelure brune indomptée, teint méditerranéen, Elisabeth Bouchaud a tout pour faire une Carmen plus vraie que nature.

Mais, il y a quelques semaines encore, c’est une tout autre héroïne qu’elle incarnait sur les planches de la Reine Blanche : Marie Curie, dans Le Paradoxe des jumeaux, pièce coécrite avec Jean-Louis Bauer. L’action se passe en 1911, quelques années après la mort accidentelle de Pierre Curie. La chercheuse reçoit son second prix Nobel alors qu’elle est au cœur d’un scandale en raison de sa liaison avec le physicien Paul Langevin, homme ­marié et père de famille. La presse d’extrême droite traîne dans la boue cette étrangère, cette Polonaise briseuse de ménage. « Nous avons voulu montrer Marie Curie comme une vraie femme, amoureuse, capable de se mettre en colère, loin de l’image classique de la dame en noir qui fait la tête sur les photos », explique Elisabeth Bouchaud.

« Dingue de maths »

Personne, sans doute, ne pouvait mieux comprendre Marie Curie qu’Elisabeth Bouchaud. Elle-même immigrée – elle est née en 1961 en Tunisie, qu’elle a quittée à 3 ans et demi –, elle-même mariée à un chercheur, Jean-Philippe Bouchaud, qu’elle a rencontré sur les bancs de la classe préparatoire – et épousé deux fois ! –, et, surtout, elle-même physicienne. Le parcours de cette « dingue de maths depuis le collège » est tout tracé. C’est celui d’une centralienne qui, sous l’influence de son futur mari, se tourne vers la recherche et fait une thèse au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Elle bifurque aussitôt après en entrant à ­l’Office national d’études et de recherches ­aérospatiales (Onera), passant ainsi des polymères à la métallurgie – il s’agit de travailler sur les alliages utilisés en aéronautique –, de la physique théorique à la mécanique, un domaine presque exclusivement masculin. « Les gens pensaient que j’étais folle, que j’avais brûlé la carte mère, admet-elle dans un sourire. En travaillant dans le domaine des matériaux, je suis devenue expérimentatrice mais la physique me manquait beaucoup… »

Pour réduire ce grand écart, Elisabeth Bouchaud va glisser des équations dans le cambouis, en théorisant la manière dont les ­matériaux se cassent. « Depuis la seconde guerre mondiale, on voyait les matériaux comme des milieux homogènes parfaits », ­explique Laurent Ponson, de l’Institut Jean-Le-Rond-d’Alembert (CNRS-Sorbonne-Université), qui considère la chercheuse comme sa « mère scientifique ». « Elisabeth, au contraire, les a vus comme des milieux hétérogènes non parfaits, avec des petits talons d’Achille qui ­contrôlent leurs propriétés de rupture, ce qui a permis d’élucider des problèmes qui restaient incompris. Elle dit souvent que les matériaux sont comme les gens : ce qui les rend intéressants, ce sont leurs défauts ! »

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